mercredi 18 février 2009

L'occasion fait le larron

Mardi, le 17 février 2009

Josianne est malade. Depuis hier, elle a des problèmes de digestion et certains symptomes nous inquiètent. Nous nous rendons chez Juany, à l'agence de bénévoles, à quatre maisons de chez nous, pour qu'elle nous recommande un docteur. Ce n'est pas bien compliqué: il n'y en a qu'un seul à Huanchaco. Il viendra dans quelques minutes. En attendant, Josianne peut se reposer dans la chambre du fils aîné de Juany et Peter. Le menuisier doit venir vers deux heures pour travailler, alors il y aura peut-être un peu de bruit, nous dit Juany. Mais on pourra toujours rentrer chez nous, ce n'est pas bien loin.

Le docteur nous dit de ne pas nous inquiéter. Gastro et infection intestinale. La routine, pour lui. Il remplit la prescription et s'en va. Josianne rentre tandis que je me rends à la pharmacie pour acheter tout ça.

Dans l'après-midi, ça va un peu mieux. Nous sommes tous assis dans le salon à étudier l'espagnol, ou dans mon cas, à ne rien faire. Marcus et Henrike préparent leur cours du lendemain, pour les enfants. Heather est chez Juany, au bureau, et Izabel est à Trujillo pour la journée. La porte qui donne sur la rue est entrouverte, et il nous parvient les habituels pleurs d'enfants, aboiements de chiens, etc. Puis, on frappe à la porte. Quelqu'un regarde à l'intérieur, puis monte sur le seuil. Un autre se tient derrière lui. Courts sur pattes, péruviens. Ils viennent pour travailler.

Pendant que l'autre reste dehors, le premier homme nous parle. Josianne ne comprend pas bien ce qu'il veut; seulement qu'il doit monter à l'étage pour voir, parce qu'il doit "couper le bois".

Le menuisier. Il est deux heures.

N'était-il pas censé se rendre chez Juany, et pas chez nous? On s'interroge. Devant notre perplexité, le type nous dit que de toute façon, il reviendra dans une vingtaine de minutes. C'est l'heure du dîner. Henrike, qui veut en avoir le coeur net, décide d'aller faire un tour chez Juany. Même si elle est à Trujillo, la femme de ménage devrait pouvoir nous dire ce qui se passe.

Une quinzaine de minutes plus tard, les deux Péruviens sont de retour. Nous tentons de leur expliquer encore qu'ils doivent aller chez Juany, à quelques maisons de notre logis. "Non, c'est Juany qui nous a dit de venir ici", nous disent-ils dans un castillan difficile à déchiffrer. Ah bon. On a dû mal comprendre. Pase, dis-je. Mais entrez donc. Pour une fois, je ne me trompe pas de conjugaison. Je suis content.

Le deuxième hombre, que l'on devine être l'assistant, prend immédiatement les escaliers. Le maestro, quant à lui, me demande par où c'est, le troisième étage. Je lui désigne le même escalier et je l'emmène au troisième, sur la terrasse à ciel ouvert. Le maestro me montre ses plans, une sorte de gribouillis sommaire sur une petite feuille. Quelque chose en L. Il me pose des questions. "Ici? C'est ici qu'il faut construire?" L'autre examine la terrasse. No sé lo que van a hacer, pero muy bien. Je ne sais pas ce que vous allez faire, mais c'est bon.

En bas, j'annonce à mes amis et colocataires qu'une surprise nous attend. Les menuisiers travaillent. Mais que font-ils?

Bientôt je remonte bruyamment les marches jusqu'au troisième pour voir ce qui s'y passe. L'un des deux hommes, celui qui a une langue, est en train de prendre des mesures entre la paroi du mur et la toiture de la chambre d'Izabel, qui donne sur la terrasse. L'autre n'est plus là. Où est-il donc? Intrigué, je redescends.

Henrike vient de rentrer. La servante Margarita le lui a confirmé: les menuisiers se sont trompés. C'est chez Juany qu'ils doivent aller. Let's go tell them. Henrike est Néerlandaise, alors je lui parle en anglais. Bruit de porte qui se referme.

Je retrouve mon bidouilleur sur la terrasse. Il me montre à nouveau les plans de ce qu'il doit construire. Helvés, qu'il dit. Des étagères, là. Très bien. Mais pas chez nous. Je propose de le raccompagner chez Juany. Sans perdre une seconde, il acquiesce, redescend les marches. Henrike, restée derrière, le suit. Jusqu'en bas.

Ho, minute! ¿Y donde es tu compañero? que je lui demande, pas trop sûr de mon verbe. Il est où, ton sous-fifre? "Il est pas sorti?" demande l'autre. Je hausse les épaules. Josianne, restée dans le salon, nous assure que non. Hé ben!

Je remonte les marches jusqu'au deuxième, flanqué d'Henrike. Le type est dans sa chambre. On l'entend. He's in there? que je lui demande, incrédule. Henrike ouvre. C'est sa chambre, après tout. Personne. La salle de bains, au fond. La porte est entrouverte. Henrike jette un regard à l'intérieur, mal à l'aise. Le type est en train de remonter ses culottes. Je sors dans le couloir. La bouillante Hollandaise est fâchée contre l'intrus. Elle l'attend de pied ferme dans ses quartiers.

Bouillante, mais sympathique. Polie. Elle le laisse sortir. En m'apercevant dans le corridor, notre drôle de monsieur, l'air jeune-vieux, trentaine mouvementée, les traits tirés, expire bruyamment, comme pour me démontrer tout l'effort que ce séjour au petit coin a exigé de lui. Son expression est, disons, forcée. Il se dirige au rez-de-chaussée. ¿El maestro? s'interroge notre affreux. Oui, il est déjà en bas, que je réponds. (Pourquoi cette question? Nous a-t-il entendus? Mais non; tout se passe trop vite, il n'y a pas le temps pour ce genre de réflexions.) Le type se dirige au rez-de-chaussée. Henrike le suit, et je ferme la marche.

¡Señor! ¡Señor! Henrike le suit de près au milieu des escaliers. Elle examine son sac. ¡Señor! Son cri se fait insistant, autoritaire. Un bras tendu, pour le retenir. Quelque chose en néerlandais. Stop them! Close the door! Je crie en déboulant les marches, manquant de tomber sur Henrike. Le type est déjà dans un sprint vers la porte, derrière la baie vitrée qui sépare le salon de la cage d'escalier. J'entends Josianne hurler, d'un ton étrangement réprobateur, comme irrité: What the fuck is going on here?!

Mais Marcus le guerrier papou a déjà bondi vers l'entrée; il retient les deux sinistres personnages à l'intérieur de ses bras puissants pressés contre la porte. L'un d'entre eux a cependant la moitié du corps à l'extérieur. Il est facile pour lui de repousser la grande porte. À deux contre un, ils parviennent à s'échapper à travers l'ouverture.

Avec Henrike, je cours vers l'extérieur. Des badauds sont déjà sorti de leurs maisons. Ils ont vu Marcus le chasseur de la jungle s'élancer pieds nus sur ses puissantes jambes d'ébène... ¡Ladron! Voleur, dis-je pour alerter les voisins. Mais c'est inutile. Nos deux larrons sont déjà loin, et tout le voisinage est au courant.

Marcus est en train de rattraper son olibrius. L'autre a déjà fui dans une autre direction. Mais celui qui tient le sac, le mystérieux visiteur des toilettes, a dû mal à se démarquer. À quelques pâtés de maison, aux limites du village, il laisse tomber son butin. ¡Tu bolsa! Mais Marcus n'a que faire du sac. Il ne lâche pas la poursuite. Bientôt, le voleur est rejoint au milieu d'un terrain vague, aux frontières du village, à l'entrée du désert.

Marcus est tombé sur sa proie. Les deux luttent parmi les pierres. Les coups volent. Marcus est fort. Mais son adversaire est lâche. Il s'empare d'une grosse pierre, le bras menaçant. Marcus l'évite de justesse, frôlé à la tête. Une vitre vole en éclats derrière. Le voleur s'enfuit. Marcus lui envoie quelques pierres à son tour. Il atteint son homme. Mais ses pieds brûlés et meurtris ne lui permettent pas de continuer la chasse.

À une centaine de mètres de là, Henrike me montre un sac au milieu de la rue. Elle le ramasse. Oh my Gudd! Découvre le butin. Un ordinateur portable, une grand appareil photo numérique, un iPod, un portefeuille... Les chambres d'Yzabel, d'Henrike et Marcus. Quelques milliers de dollars dans un sac d'épicerie.

Au commissariat de police, plusieurs heures après le méfait, tout est calme. Le soleil s'est déjà enfoncé dans la mer. La plage est presque déserte. Dans une grande pièce vide et mal éclairée, l'officier de police est assis derrière son bureau solitaire, où traînent quelques papiers et un tampon. Lentement, il estampille des documents avec son timbre, tout en écoutant notre histoire, racontée par Juany, d'un air las et perplexe. Il lève la tête comme pour réfléchir, en regardant le mur d'en face. Mais ses yeux trahissent le vide de ses pensées. On dirait que le seul fait d'écouter le fatigue. Parfois il pose une question en murmurant, mais la réponse semble toujours le décevoir. Il semble déployer tous ses efforts à nous témoigner son impuissance. Tout son corps semble dire: "je ne peux rien pour vous"; mais il ne se gratte pas le front, ne hausse pas les épaules. Il ne fait rien.

Mercredi

Aujourd'hui, tout est normal. Josianne se sent bien mieux. Chez nous, chacun voit à ses affaires. À la lumière du jour, la maison, le logis, nos chambres et nos affaires ne nous semblent plus sinistres. Nous n'avons plus cette étrange sensation d'irréel, ne ressentons plus ce terrible sentiment d'avoir été agressés, abusés, floués. Dans les rues, le visage des gens du coin nous apparaît de nouveau sous un jour sympathique. La vie reprend son cours à Huanchaco.

3 commentaires:

  1. Daniel,on reconnait ici, dans ce recit, l'influence qu'Herge a eu sur toi. Il ne manque que la Castafiore...(Je ris de me voir...)Hahaha. Bravo

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  2. Mouais, sauf que malheureusement, je n'ai rien inventé. Mais rien n'a finalement été volé, comme dans Les Bijoux. On a été quitte pour une bonne frousse.

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  3. Soigne bien ton dos... J´espére que c´est pas trop grave.

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